Type de texte | source |
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Titre | Idée de la perfection de la peinture |
Auteurs | Fréart de Chambray, Roland |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1662 |
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Date d'édition moderne ou de réédition | |
Editeur moderne | |
Date de reprint | éd. Frédérique Lemerle-Pauwels et Milovan Stanić, Paris, ENSBA, 2005 |
, p. 253
Car si Apelle leur[[5:les Anciens.]]a semblé si admirable d’avoir su représenter le bruit du tonnerre, on peut voir aussi dans ce sujet même, dont je parle, que notre Poussin a peint la voix, laquelle est d’autant plus difficile à exprimer, qu’elle est moins sensible en son effet. J’ai remarqué ce trait ingénieux au premier tableau des Sept Sacrements[[5:Le Baptême.]]
Dans :Apelle et l’irreprésentable(Lien)
, p. 253
Le même Pline qui a proposé, comme un miracle dans la peinture, cette expression du tonnerre, y ajoute encore, que ce grand maître Apelle se plaisait aussi à représenter les histoires des agonisants. Or il se rencontre ici, par je ne sais quelle concurrence fortuite, que le sacrement de l’extrême-onction a présenté le même sujet à notre peintre, qui, voulant traiter ce saint mystère sous une idée noble et magnifique selon son génie, a choisi pour cet effet la personne d’un capitaine romain dans l’agonie, environné de tous ses plus proches.
Dans :Apelle et les mourants(Lien)
, p. 225
Et ce n’a peut-être été qu’en ce genre-là[[5:le costume.]] que ces grands peintres de l’Antiquité, Apelles, Timanthe, Protogenes, Zeuxis, et leurs semblables, ont surpassé nos modernes, vu que ni du coloris, ni de la régularité de la perspective, ni des proportions des corps, ni des diverses manières de peindre, ni de tout le reste du mécanique de l’art, il n’y a point d’apparence qu’ils aient eu aucun avantage sur les nôtres. Aussi Philostrate, Quintilien, Pline, et tous les autres qui le sont immortalisés par leurs écrits, ne les louent principalement que de cette pointe d’esprit et de l’excellent génie qu’ils faisaient paraître dans leurs ouvrages : comme on peut juger par ce qu’ils disent du noble chef-d’œuvre du Sacrifice d’Iphigénie, où l’ingénieux Timanthe ayant dépeint, par une expression très judicieusement partagée, tous les degrés de regret et de pitié sur le visage de ceux qui étaient présents à ce funeste spectacle, et après avoir déjà épuisé et consommé tous les traits de son pinceau, et toutes les forces de l’art, avant que d’en être encore venu jusqu’au père de cette innocente et déplorable victime, ne lui restant plus aucun moyen de le représenter assez dignement, comme il eût fallu, entre les autres, dans la douleur et dans la consternation extrême où il devait être, il lui couvrit le visage; laissant ainsi à penser à un chacun ce qui s’en pouvait imaginer.
Voilà ce qu’en dit Pline au trente-cinquième livre, chapitre dix, et incontinent après il ajoute encore à la louange de ce grand maître, qu’en tous ses ouvrages il donnait toujours beaucoup plus de choses à entendre qu’il n’en faisait voir, et que bien que la peinture fût un art très excellent et très sublime, l’esprit de ce peintre était néanmoins encore plus élevé.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)
, p. 234-237
D’un tel échantillon, on peut conclure à l’avantage de notre peintre moderne[[5:Raphaël]], qu’il est véritablement digne de la même gloire qu’on a donnée aux plus célèbres de l’Antiquité, puisque ses ouvrages montrent le même génie qu’on admirait en Timanthe, et d’où il prit occasion de dire de lui, que In omnibus eius operibus intellegitur plus semper quam pingitur ; et cum ars summa sit, ingenium tamen ultra artem est, lib. 35, cap. 10. Paroles excellentes et très glorieuses à ce peintre, lesquelles j’avais déjà rapportées ci-devant en notre langue, au sujet de son incomparable chef-d’œuvre du Sacrifice d’Iphigénie : mais je les répète encore ici à dessein de les faire convenir à Raphaël. […] Il arrivait même quelquefois que la détresse du lieu à peindre et la stérilité du sujet donnaient occasion à ces beaux génies d’en tirer de l’avantage, et de faire une production d’esprit qui surpassait en grandeur de réputation les plus abondantes compositions. Ce que Pline nous apprend encore au même chapitre, où il fait un si beau récit et une si élégante description du Sacrifice d’Iphigénie dépeint par Timanthe, dans lequel apparemment il y avait une assez nombreuse multitude de figures, car il parle ensuite d’un autre ouvrage de la même main, qui représentait un Polyphème endormi, mais dans un petit tableau, dont le peu d’espace ne laissait pas le moyen au peint d’y dessiner réellement un corps gigantesque tel que devait être celui de ce prodigieux Cyclope, si bien que cette détresse donna lieu à l’ingénieux Timanthe de faire connaître que son esprit était en effet plus élevé et plus puissant que toutes les forces de la peinture. Il s’avisa donc, pour suppléer au défaut de la matière, de faire voir seulement aux yeux de l’esprit ce qu’il ne pouvait montrer à ceux du corps.
INGÉNIEUSE REPRÉSENTATION D’UN GRAND CYCLOPE DANS UN PETIT LIEU PEINT PAR TIMANTHE
Pour cet effet, il introduisit un gentil parergue dans son sujet qui était de soi trop simple, n’ayant à représenter qu’une figure endormie, et une figure énorme et hideuse. Or cet acccompagnement parergique était une troupe de satyres, qu’il mit à l’entour de son Cyclope dormant, les uns effrayés à une rencontre si affreuse, et prenant la fuite, d’autres le considérant de loin, avec une contenance mêlée de crainte et d’admiration, quelques-uns desquels s’étant un peu approchés d’un de ses bras qu’il étendait assez loin du corps, tâchaient de lui mesurer le poue avec leurs thyrses, mais tout doucement sans le toucher, de peur qu’il ne s’éveillât. De sorte que par la comparaison qu’on faisait de ces satyres auprès du Cyclope (où ils paraissaient plus petits même qu’un de ses doigts) on jugeait incontinent de la masse prodigieuse de ce Polyphème. Et cette pensée du peintre fut trouvée si ingénieuse et si nouvelle, qu’elle donna une grande réputation à son tableau, qui néanmoins était de lui-même fort petit, et d’un sujet assez peu considérable.
IMITATION DU MÊME SUJET PAR JULES ROMAIN
Il me souvient d’avoir vu à Rome, dans le palais de Vigna Madama, ce même sujet traité d’une autre manière aussi fort galante, quoique la pensée n’en soit proprement qu’une imitation de celle-ci, mais elle a pourtant je ne sais quoi de particulier, qui semble encore enchérir en quelque façon sur l’original. C’est un ouvrage du plus excellent élève qu’ait fait Raphaël, l’esprit le plus pellegrin (comme parlent les Italiens) que les derniers siècles aient vu naître pour la peinture, auquel il semble que Raphaël ait déposé et comme transmis tout son génie en mourant : aussi le fit-il son principal héritier par son testament.
Ce tableau est peint à fresque, sur un mur qui fournissait plus que l’étendue nécessaire à y pouvoir dessiner le Cyclope tout de son long, sans que le peintre eût besoin d’autre artifice pour faire voir sa grandeur démesurée. Néanmoins comme l’hyperbole a quelquefois aussi bonne grâce dans la peinture que dans la poésie, et même que le pinceau de ce peintre était extraordinairement poétique, il s’avisa d’introduire fort plaisamment dans cette composition, d’autres satyres plus drôles que ceux de Timanthe, folâtrant autour du Cyclope pendant qu’il dort, quelques-uns desquels s’étant saisis de ses chalumeaux, et les ayant tirés à l’écart, glissent (comme parlent les enfants) à écorche-cul le long de chaque tuyau, tenant leurs thyrses entre les jambes pour en couler mieux, avec plusieurs autres singeries fort capricieuses, qui font rire, et donnent en même temps à connaître quelle énorme gueule il fallait à cet effroyable musicien pour emboucher une telle flûte.
Voilà une espèce d’imitation si rare et si spirituelle, qu’elle peut aller en concurrence avec l’original même, et je m’assure que si Timanthe l’eût vue, au lieu de prendre de la jalousie de cette galante émulation, il eût, estimé la gentillesse d’esprit de notre moderne, et fait grand état de son ouvrage.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)
, p. 254
Elle[[5:L’Extrême-Onction de Poussin.]] est un vrai parallèle du fameux chef-d’œuvre de Timanthe sur le Sacrifice d’Iphigénie, dont j’ai déjà ci-devant parlé, et que Pline et Quintilien nous dépeignent comme le plus rare, le plus ingénieux et le plus parfait tableau de l’Antiquité. Mais de savoir maintenant lequel des deux, ou leur Antique, ou notre Moderne a exprimé son sujet avec plus d’art, et d’une manière plus pathétique, c’est une question à quoi je ne touche point, me contentant seulement de dire qu’entre les modernes notre Poussin est comme un autre Timanthe.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)
, p. 236
INGÉNIEUSE REPRÉSENTATION D’UN GRAND CYCLOPE DANS UN PETIT LIEU PEINT PAR TIMANTHE
Pour cet effet, il introduisit un gentil parergue dans son sujet qui était de soi trop simple, n’ayant à représenter qu’une figure endormie, et une figure énorme et hideuse. Or cet acccompagnement parergique était une troupe de satyres, qu’il mit à l’entour de son Cyclope dormant, les uns effrayés à une rencontre si affreuse, et prenant la fuite, d’autres le considérant de loin, avec une contenance mêlée de crainte et d’admiration, quelques-uns desquels s’étant un peu approchés d’un de ses bras qu’il étendait assez loin du corps, tâchaient de lui mesurer le poue avec leurs thyrses, mais tout doucement sans le toucher, de peur qu’il ne s’éveillât. De sorte que par la comparaison qu’on faisait de ces satyres auprès du Cyclope (où ils paraissaient plus petits même qu’un de ses doigts) on jugeait incontinent de la masse prodigieuse de ce Polyphème. Et cette pensée du peintre fut trouvée si ingénieuse et si nouvelle, qu’elle donna une grande réputation à son tableau, qui néanmoins était de lui-même fort petit, et d’un sujet assez peu considérable. [[7: voir le reste dans Timanthe]]
Dans :Protogène, Satyre et parergia(Lien)
, p. 253
J\'ajouterai seulement encore par forme d\'avis, que ceux qui auront assez de curiosité pour en venir jusqu\'à la preuve décisive, ils la trouveront suffisamment démontrée dans son ouvrage des Sept sacrements qu\'on voit à Paris chez Monsieur de Chantelou, maître d\'hôtel ordinaire du roi, ami intime de cet illustre Poussin. C\'est une suite de sept tableaux uniformes, de grandeur médiocre, mais d\'une étude extraordinaire, où ce noble peintre semble avoir fait la dernière preuve, non seulement de la régularité de l\'art, selon toutes les parties qui sont expliquées en ce traité, mais encore de sa plus haute excellence, par la nouveauté de ses inventions, par la noblesse de ses idées sur chaque sujet, par la savante et judicieuse observation du costume (en quoi il est presque unique), par la force de ses expressions, et en un mot, par toutes les mêmes qualités de ces grands génies de l\'Antiquité, entre lesquels il aurait tenu, à mon avis, un des premiers rangs, puisque nous voyons communément dans ses ouvrages toutes les mêmes parties d\'excellence que Pline et les autres ont remarquées de leurs Apelle, Zeuxis, Timanthe, Protogène, et du reste de cette première classe de la peinture. Car si Apelle leur a semblé si admirable d\'avoir su représenter le bruit du tonnerre, on peut voir aussi dans ce sujet même, dont je parle, que notre Poussin a peint la voix, laquelle est d\'autant plus difficile à exprimer, qu\'elle est moins sensible en son effet. J\'ai remarqué ce trait ingénieux au premier tableau des Sept Sacrements, où saint Jean conférant le baptême à Notre Seigneur, ceux d\'alentour qui se trouvent aussi là présents pour le recevoir après leur maître, font connaître visiblement par la surprise et l\'étonnement où ils paraissent, regardant en haut et de tous côtés, qu\'ils entendent cette voix céleste qui dit: \"Voici mon fils bien-aimé.\" [[4: suite dans Apelle et les mourants]]
Dans :Apelle et l’irreprésentable(Lien)